BEAUTÉ FRACTALE
POSITIVER LE FLUX
C’est une mythologie personnelle qui nous apparaît dans l’atelier de Benoît De Mijolla, un repaire dans lequel musique et images se muent en dessin. Mais lorsque l’on voit ses travaux hors de ce contexte de fabrication, ils semblent nous appartenir presque entièrement, l’appropriation fonctionne à merveille. Par quelle malice ? Aucune en réalité si ce n’est une démarche des plus honnêtes et un authentique plaisir à travailler le dessin sur papier avec des outils simples comme peuvent l’être le fusain, le graphite ou le pigment.
La question des images dont se sert Benoît De Mijolla dans son travail interroge immédiatement : Il « positive le flux » selon sa propre expression. Nombre de ses images sont issues du cinéma mais il dit n’avoir, parfois, pas vu les films, ce sont les musiques, les bandes originales, qui produisent, chez lui, l’envie de faire du dessin. Le son génère ainsi de nouvelles images. Nous les regardons selon nos propres références comme on peut le faire avec la musique qui devient l’écho de notre vie, liée à nos souvenirs intimes.
On ne s’étonne donc pas qu’il produise, en parallèle, de la musique et du remix. Une house qui puise ses sources dans le son des années 90 et de la musique électronique. Il cite notamment les Daft Punk, dont on comprend qu’il respecte le parcours. Benoît a l’humilité de se savoir sur un chemin, d’observer ses gestes plus que de se satisfaire de résultats. Il est modeste pour la bonne cause, celle de développer son travail en toute sincérité
Au cœur de sa pratique se rencontrent une figuration assumée et des compositions abstraites. Cela peut se trouver de façons distinctes comme dans les séries Sample et Unreleased, figuratives, ou la série Illusions, abstraite. Mais sur des séries récentes comme Is There Anybody Out Here ?, la composition accueille les deux genres de manière assez frontale et totalement mêlée. La narration qui en jaillit est puissante mais ouverte. Ces dessins hybrides ont d’ailleurs tendance à prendre de l’importance en terme de format au fur et à mesure.
Son réalisme, quant à reproduire des figures, n’est jamais démonstratif. Il ne cherche pas la prouesse technique bien que l’on sente que la question ait pu se poser, il parle même d’un « fantasme » de reproduction de la photographie. Il en aurait l’habileté sans aucun doute et cite d’ailleurs volontiers Jérôme Zonder, virtuose du dessin s’il en est, comme l’une de ses références, pour cet équilibre subtil entre la technique et une forme de rugosité de la matière qu’il cherche lui même, à sa façon.
DESSINATEUR FRACTAL
Parmi les séries les plus abstraites, des dessins dont le motif est le pixel. Faits à l’aide de pochoirs, ce sont des compositions originales dans lesquelles on devine des formes sans pouvoir tout à fait les identifier. L’image pixellisée ainsi constituée fait toujours référence au flux mais aussi à la manière de sourcer les images. Une image floue, un glitch, un fichier mal converti, basse définition, un zoom extrême.
Faire ainsi écho au numérique avec des moyens traditionnels et lents du dessin relève de la poésie à notre époque de performance. Le motif du pixel, explique-t-il, est venu d’un accident, pour masquer un repentir avec de gros carrés qui sont devenus, par la suite, plus petits ...exactement comme une fractale, cette structure qui se répète à l’infini en diminuant. Il agit comme un chercheur, rebondissant et acceptant l’artefact comme un nouveau possible, l’émergence d’une paréidolie.
Benoît De Mijolla utilise également le papier calque dans son processus. Souvent, il redessine des formes à l’échelle de son écran d’ordinateur. Là encore, il se tourne vers une technique un peu obsolète mais qui a un intérêt réel dans son rapport à l’image. Il ne cherche pas à gagner du temps, au contraire, il ajoute une étape. Il constitue un véritable répertoire de formes avec ses dessins modestes, sur calque, collectés et triés méticuleusement dans une pochette. Ils sont à la fois matrices, outils et œuvres. Ce sont aussi des intermédiaires qui dépouillent les images de leur symbolique, de leur contexte, de leur narration. Elles sont pleinement assimilées par l‘artiste qui peut, à sa guise, les utiliser, les déplacer davantage, on peut parler d’un déplacement salutaire de l’image. Chaque dessin est autant une archive qu’une production.
Si Benoît navigue entre la figure et l’abstraction, la figure reste néanmoins sa principale source même s’il s’agit de l’emmener vers l’abstraction. Passer d’une lisibilité totale à une sensation seulement. Un peu comme des variations de composition du son, on passerait par des fréquences inaudibles mais qui ne sont pas pour autant du silence. Dans ce sens, on peut penser à Eugène Leroy, que l’on n’imagine pas toujours aussi fervent admirateur de Mondrian. Leroy qui recouvrait ses peintures de matière jusqu’à la surcharge physique, jusqu’à masquer la figure dont il ne pouvait se détacher pour commencer toute œuvre. Ainsi, Benoît se dit
« attaché au défaut de vouloir représenter les choses par le dessin ». On entend par cela une volonté de point de vue, le défaut c’est l’humain, le sensible. Il résiste un peu, même si c’est vain, à la machine, à un système. Il y a du Cervantès ou du Pasolini dans ce désir de défendre un défaut qui n’en est pas un évidemment.
DE LA COULEUR ET DU SON
Si son travail joue majoritairement de nuances du noir et blanc, charbonneux, presque vaporeux, la couleur fait son apparition sur une série de dessin pixelisés. Benoît De Mijolla imprime des images colorées sur lesquelles il dessine. Ces gammes chromatiques sont subtiles, vibrent en étant presque éteintes par les gris qui leur sont superposés. Elles semblent parfois flirter avec la monochromie. A nouveau, le statut de l’image est interrogé pas le simple fait de se demander quelle est sa nature, imprimée ou originale, irisée ou monochrome. On perçoit ici une piste de travail dont on ne doute pas que certains aspects mèneront Benoît vers de nouvelles explorations.
Dans sa musique, il semble multiplier les sources comme les parallèles. De la house au hip hop en passant par la chanson, la funk, le rock, on retrouve beaucoup de genres musicaux comme matériaux de sample voués à devenir son expression singulière. Dans son travail de remix, comme pour la pixellisation en dessin, les mots deviennent rythmes, souffles, une langue hybride presque inventée (notamment le
son sur Charlotte Gainsbourg). Le remix est un langage musical à part, très solitaire dans sa création, tourné vers les autres dans sa diffusion. Il crée ainsi des Dj sets de plus d’une heure dans lesquels on retrouve un peu de la narration et de la dramaturgie propres au cinéma, les climax, moments intenses, les descentes, les contemplations, et l’on réagit de façon viscérale, physique même avec la musique, les basses, les aigus agissant de façon instantanée.
Dans ses créations originales, le son se fait plus métallique, industriel mais la rythmique est très claire. Certains morceaux, planants, (Final space, Horizon) se réfèrent directement à l’espace, dans la grande tradition des musiques électroniques et des explorateurs tels Giorgio Moroder, Kraftwerk ou leurs disciples. Et l’on voit bien comment cette boucle nous ramène aux images de cinéma en une fraction de seconde, en un pixel, en un trait de crayon.
Alexandre Leger Décembre 2022
POSITIVER LE FLUX
C’est une mythologie personnelle qui nous apparaît dans l’atelier de Benoît De Mijolla, un repaire dans lequel musique et images se muent en dessin. Mais lorsque l’on voit ses travaux hors de ce contexte de fabrication, ils semblent nous appartenir presque entièrement, l’appropriation fonctionne à merveille. Par quelle malice ? Aucune en réalité si ce n’est une démarche des plus honnêtes et un authentique plaisir à travailler le dessin sur papier avec des outils simples comme peuvent l’être le fusain, le graphite ou le pigment.
La question des images dont se sert Benoît De Mijolla dans son travail interroge immédiatement : Il « positive le flux » selon sa propre expression. Nombre de ses images sont issues du cinéma mais il dit n’avoir, parfois, pas vu les films, ce sont les musiques, les bandes originales, qui produisent, chez lui, l’envie de faire du dessin. Le son génère ainsi de nouvelles images. Nous les regardons selon nos propres références comme on peut le faire avec la musique qui devient l’écho de notre vie, liée à nos souvenirs intimes.
On ne s’étonne donc pas qu’il produise, en parallèle, de la musique et du remix. Une house qui puise ses sources dans le son des années 90 et de la musique électronique. Il cite notamment les Daft Punk, dont on comprend qu’il respecte le parcours. Benoît a l’humilité de se savoir sur un chemin, d’observer ses gestes plus que de se satisfaire de résultats. Il est modeste pour la bonne cause, celle de développer son travail en toute sincérité
Au cœur de sa pratique se rencontrent une figuration assumée et des compositions abstraites. Cela peut se trouver de façons distinctes comme dans les séries Sample et Unreleased, figuratives, ou la série Illusions, abstraite. Mais sur des séries récentes comme Is There Anybody Out Here ?, la composition accueille les deux genres de manière assez frontale et totalement mêlée. La narration qui en jaillit est puissante mais ouverte. Ces dessins hybrides ont d’ailleurs tendance à prendre de l’importance en terme de format au fur et à mesure.
Son réalisme, quant à reproduire des figures, n’est jamais démonstratif. Il ne cherche pas la prouesse technique bien que l’on sente que la question ait pu se poser, il parle même d’un « fantasme » de reproduction de la photographie. Il en aurait l’habileté sans aucun doute et cite d’ailleurs volontiers Jérôme Zonder, virtuose du dessin s’il en est, comme l’une de ses références, pour cet équilibre subtil entre la technique et une forme de rugosité de la matière qu’il cherche lui même, à sa façon.
DESSINATEUR FRACTAL
Parmi les séries les plus abstraites, des dessins dont le motif est le pixel. Faits à l’aide de pochoirs, ce sont des compositions originales dans lesquelles on devine des formes sans pouvoir tout à fait les identifier. L’image pixellisée ainsi constituée fait toujours référence au flux mais aussi à la manière de sourcer les images. Une image floue, un glitch, un fichier mal converti, basse définition, un zoom extrême.
Faire ainsi écho au numérique avec des moyens traditionnels et lents du dessin relève de la poésie à notre époque de performance. Le motif du pixel, explique-t-il, est venu d’un accident, pour masquer un repentir avec de gros carrés qui sont devenus, par la suite, plus petits ...exactement comme une fractale, cette structure qui se répète à l’infini en diminuant. Il agit comme un chercheur, rebondissant et acceptant l’artefact comme un nouveau possible, l’émergence d’une paréidolie.
Benoît De Mijolla utilise également le papier calque dans son processus. Souvent, il redessine des formes à l’échelle de son écran d’ordinateur. Là encore, il se tourne vers une technique un peu obsolète mais qui a un intérêt réel dans son rapport à l’image. Il ne cherche pas à gagner du temps, au contraire, il ajoute une étape. Il constitue un véritable répertoire de formes avec ses dessins modestes, sur calque, collectés et triés méticuleusement dans une pochette. Ils sont à la fois matrices, outils et œuvres. Ce sont aussi des intermédiaires qui dépouillent les images de leur symbolique, de leur contexte, de leur narration. Elles sont pleinement assimilées par l‘artiste qui peut, à sa guise, les utiliser, les déplacer davantage, on peut parler d’un déplacement salutaire de l’image. Chaque dessin est autant une archive qu’une production.
Si Benoît navigue entre la figure et l’abstraction, la figure reste néanmoins sa principale source même s’il s’agit de l’emmener vers l’abstraction. Passer d’une lisibilité totale à une sensation seulement. Un peu comme des variations de composition du son, on passerait par des fréquences inaudibles mais qui ne sont pas pour autant du silence. Dans ce sens, on peut penser à Eugène Leroy, que l’on n’imagine pas toujours aussi fervent admirateur de Mondrian. Leroy qui recouvrait ses peintures de matière jusqu’à la surcharge physique, jusqu’à masquer la figure dont il ne pouvait se détacher pour commencer toute œuvre. Ainsi, Benoît se dit
« attaché au défaut de vouloir représenter les choses par le dessin ». On entend par cela une volonté de point de vue, le défaut c’est l’humain, le sensible. Il résiste un peu, même si c’est vain, à la machine, à un système. Il y a du Cervantès ou du Pasolini dans ce désir de défendre un défaut qui n’en est pas un évidemment.
DE LA COULEUR ET DU SON
Si son travail joue majoritairement de nuances du noir et blanc, charbonneux, presque vaporeux, la couleur fait son apparition sur une série de dessin pixelisés. Benoît De Mijolla imprime des images colorées sur lesquelles il dessine. Ces gammes chromatiques sont subtiles, vibrent en étant presque éteintes par les gris qui leur sont superposés. Elles semblent parfois flirter avec la monochromie. A nouveau, le statut de l’image est interrogé pas le simple fait de se demander quelle est sa nature, imprimée ou originale, irisée ou monochrome. On perçoit ici une piste de travail dont on ne doute pas que certains aspects mèneront Benoît vers de nouvelles explorations.
Dans sa musique, il semble multiplier les sources comme les parallèles. De la house au hip hop en passant par la chanson, la funk, le rock, on retrouve beaucoup de genres musicaux comme matériaux de sample voués à devenir son expression singulière. Dans son travail de remix, comme pour la pixellisation en dessin, les mots deviennent rythmes, souffles, une langue hybride presque inventée (notamment le
son sur Charlotte Gainsbourg). Le remix est un langage musical à part, très solitaire dans sa création, tourné vers les autres dans sa diffusion. Il crée ainsi des Dj sets de plus d’une heure dans lesquels on retrouve un peu de la narration et de la dramaturgie propres au cinéma, les climax, moments intenses, les descentes, les contemplations, et l’on réagit de façon viscérale, physique même avec la musique, les basses, les aigus agissant de façon instantanée.
Dans ses créations originales, le son se fait plus métallique, industriel mais la rythmique est très claire. Certains morceaux, planants, (Final space, Horizon) se réfèrent directement à l’espace, dans la grande tradition des musiques électroniques et des explorateurs tels Giorgio Moroder, Kraftwerk ou leurs disciples. Et l’on voit bien comment cette boucle nous ramène aux images de cinéma en une fraction de seconde, en un pixel, en un trait de crayon.
Alexandre Leger Décembre 2022